C’est ce qu’a jugé la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt en chambre plénière du 20 décembre 2018. Elle a décidé que l’administration fiscale pouvait appliquer la procédure de l’abus de droit de l’article L.64 du LPF à l’encontre d’un contribuable qui avait fait une application littérale d’une instruction, au motif qu’il aurait poursuivi un objectif exclusivement fiscal et méconnu les objectifs de la doctrine appliquée.
Par cette décision, la CAA de Paris vient directement remettre en cause une des garanties essentielles offertes au contribuable : l’opposabilité de la doctrine administrative, prévue par l’article L.80 A du LPF.
Un arrêt remettant en cause la position du Conseil d’Etat en la matière
La garantie contre les changements de doctrine : une sécurité offerte au contribuable
L’article L.80 A du LPF permet de protéger le contribuable contre les changements de doctrine.
L’administration fiscale ne peut pas procéder à un rehaussement si le contribuable a fait application d’un texte fiscal selon l’interprétation donnée par la doctrine qu’elle publie.
Cette garantie est subordonnée à l’application littérale de la doctrine administrative : le contribuable ne peut interpréter cette doctrine par analogie, a contrario ou en recherchant les intentions de ses auteurs pour en apprécier la juste portée.
Par ailleurs, l’article L.64 du LPF dans sa branche de fraude à la loi permet de qualifier d’abus de droit, les actes qui recherchent « le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis pour leurs auteurs » (critère objectif) qui ont recherché un but exclusivement fiscal (critère subjectif).
L’abus de doctrine administrative désormais admis ?
Le Conseil d’Etat avait reconnu dans une fameuse décision d’assemblée de 1998 qu’un contribuable qui s’est conformé à la doctrine administrative ne peut se voir reprocher par l’administration fiscale, sur le terrain de l’abus de droit, d’avoir outrepassé la portée des dispositions dérogatoires prévues dans cette doctrine (avis CE 8 avril 1998, n°192539).
En résumé, l’abus de droit ne peut être invoqué par l’administration fiscale pour faire échec à la garantie de l’article L. 80 A du LPF.
La CAA de Paris dans l’arrêt du 20 décembre 2018 a retenu une position contraire. Elle a considéré que l’instruction appliquée par le contribuable « comporte des dispositions impératives » et constitue une décision au sens de l’article L.64 du LPF qui permet l’application de la procédure de l’abus de droit.
Surtout, elle précise que le contribuable, en ayant recours à un montage artificiel, doit être regardé comme méconnaissant l’objectif de l’auteur de l’instruction ; le critère objectif de l’abus de droit est donc rempli.
L’impact de cet arrêt sur la sécurité juridique du contribuable
L’esprit de la doctrine n’existe pas !
Grâce au recours à la notion de montage artificiel, le Conseil d’Etat s’exonère délibérément de se prononcer sur l’intention de l’auteur de la doctrine.
Pourtant, le principe consacré est que la doctrine « n’a pas d’esprit », et que le contribuable ne peut faire prévaloir l’esprit de celle-ci sur sa lettre.
Réciproquement, il doit légitimement pouvoir prendre au pied de la lettre les dispositions y figurant, sans devoir s’interroger sur les intentions de ses auteurs.
Permettre l’application de l’abus de droit pour faire obstacle à l’application d’une doctrine autorise ainsi l’administration à invoquer l’esprit de la doctrine alors même que cela est interdit au contribuable !
Vers un travail d’analyse de l’intention de l’auteur de la doctrine ?
Tant que la solution n’est pas infirmée par le Conseil d’Etat, le contribuable devra donc faire preuve de prudence lors de l’application d’une doctrine administrative.
Lorsqu’une telle doctrine comporte des dispositions plus favorables, qui ajoutent à la loi, il faudra s’assurer qu’il ne pourra lui être reproché le recours à un montage artificiel méconnaissant l’objectif de son auteur.
Un arrêt contraire à l’analyse du Comité de l’abus de droit fiscal
Dans trois affaires (n°2015-07, n°2015-08 et 2015-09 du 6 novembre 2015), celui-ci avait décidé que l’administration fiscale n’était pas fondée à appliquer la procédure de l’abus de droit envers un contribuable qui s’était dûment prévalu d’une instruction fiscale, qui ajoutait à la loi.
Le Comité considère que les objectifs poursuivis par les auteurs de l’instruction ne peuvent être pris en compte, ce qui empêche ainsi l’application de la procédure de l’abus de droit.
Il fait donc application du principe selon lequel « la doctrine administrative n’a aucun esprit » justifiant qu’un contribuable qui applique fidèlement cette doctrine ne puisse faire l’objet d’un redressement.
L’administration ne s’était pas rangée à l’avis du comité.
1 commentaire
aassal aymen
article tres interessant