La CJUE vient de rendre sa décision tant attendue (affaire C-299/20, 30 septembre 2021, Icade Promotion) : le régime de la TVA sur marge nécessite une condition d’identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu mais il ne requiert pas une condition d’identité physique (pour rappel du contexte cf. notre bulletin sur le sujet).
En revanche, la Cour indique que ce régime n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’acquisition initiale n’a pas été soumise à TVA alors que la doctrine en vigueur à ce jour prévoit l’inverse …
Le feuilleton jurisprudentiel
Les ventes de terrains à bâtir (« TAB ») sont en principe soumises à la TVA sur le prix total. Toutefois, il est possible d’opter à la TVA sur la seule marge réalisée par le cédant, si l’acquisition du bien n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (article 268 du CGI qui correspond à la transposition de l’article 392 de la directive TVA).
L’application de ce régime est à l’origine de nombreux contentieux :
1/ Le fisc soutenait que cette possibilité d’option était conditionnée à une identité entre le bien acquis et revendu (le TAB cédé devait avoir été acquis en tant que tel et un TAB issu de la division d’un bien acquis bâti ne pouvait donc bénéficier de l’option sur la marge).
2/ Les juges du fond estimaient que l’application de la TVA sur la marge était conditionnée au seul fait que l’acquisition par le cédant n’ait pas ouvert droit à déduction de la TVA (application littérale de l’article 268 du CGI) et censuraient les redressements fondés sur la condition d’identité juridique ou physique.
3/ Par un arrêt PROMIALP en date du 27 mars 2020, le Conseil d’État a mis fin au débat et a confirmé qu’il devait y avoir identité entre le bien acquis et le bien revendu pour que la TVA sur marge soit applicable.
4/ Il restait des zones d’incertitude quant à la portée de la condition d’identité, raison pour laquelle le CE, dans le cadre d’une nouvelle affaire, a décidé de saisir la CJUE de cette problématique.
Consécration de la condition d’identité juridique par la CJUE
Pour la CJUE :
–Le régime de la TVA sur marge requiert une condition d’identité juridique : il faut acheter un TAB et revendre un TAB pour en bénéficier ;
–Mais ne requiert pas une condition d’identité « physique » : le TAB peut avoir été divisé en lots avant d’être revendu ou avoir subi des travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux (gaz ou électricité).
Incertitudes quant au champ d’application de la TVA sur marge
Dans son arrêt, la Cour précise que le régime de la TVA sur marge :
–s’applique lorsque l’acquisition des TAB a été soumise à TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire la taxe ;
–mais ne s’applique pas lorsque l’acquisition initiale n’a pas été soumise à TVA (hors champ ou exonérée), ce qui est le cas lorsque le revendeur achète son terrain auprès d’un particulier.
La Cour ajoute une exception : si l’acquisition initiale n’est pas soumise à TVA mais que le prix auquel le revendeur a acquis le bien incorpore un montant de TVA acquitté en amont par le vendeur initial (vente grevée d’une TVA devenue précédemment définitive), le régime de la TVA sur marge peut s’appliquer. En pratique il faudrait donc aller vérifier les antécédents de propriété du terrain du vendeur initial qui doit avoir supporté de la TVA lorsqu’il l’a acheté !
Cette position est contraire à la doctrine fiscale en vigueur qui prévoit que le régime de la TVA sur marge s’applique « s’il est établi que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction ».
Elle précise que n’a notamment pas ouvert droit à déduction une acquisition d’immeuble réalisée auprès d’un non-assujetti (particulier) ou une acquisition exonérée de TVA.
Si la décision de la CJUE devait être transposée dans la doctrine, cela réduirait considérablement l’application du régime de la TVA sur marge.
Affaire à suivre…
La doctrine reste opposable
A ce jour, le BOFIP (BOI-TVA-IMM-10-20-10 §30) prévoit toujours que le régime de la TVA sur marge s’applique lorsque l’acquisition initiale n’a pas été soumise à TVA (hors champ ou exonérée). Sur le fondement de l’article L80 A du LPF, les contribuables pourront donc s’en prévaloir pour continuer à appliquer la TVA sur marge dans l’hypothèse d’acquisition réalisée auprès d’un non-assujetti.
Sécuriser ses opérations immobilières avec la division préalable
En cas d’acquisition d’un immeuble bâti en vue de la revente en TAB du terrain d’assiette, afin de bénéficier du régime de la TVA sur marge, il convient de procéder à des divisions parcellaires avant l’achat. Ainsi le terrain aura été, dès l’acquisition, acquis en tant que TAB.
Une telle opération peut présenter un inconvénient économique pour le vendeur (le privant de l’exonération de plus-value sur cession du terrain d’assiette de sa résidence principale par exemple).
Pour rappel toute plus-value immobilière réalisée par un particulier est, en tout état de cause, exonérée d’impôt au bout de 30 ans de détention.
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