Conformément à l’article L80 A du LPF, les contribuables peuvent en principe opposer la doctrine administrative à l’administration fiscale lorsqu’ils en ont fait application de bonne foi. En réalité, il existe deux garanties contre les changements de doctrine :
- Celle du premier alinéa, qui permet au contribuable de se prévaloir d’une prise de position formelle de l’administration (qui peut prendre diverses formes), mais qui suppose l’existence d’un redressement d’imposition ;
- Celle du dernier alinéa, qui ne suppose pas nécessairement l’existence d’un rehaussement d’impôts, mais qui ne peut porter que sur la doctrine officielle publiée par l’administration.
Par un arrêt du 18 septembre 2023, le Conseil d’État opère un rappel des conditions d’application de la garantie de l’article L80 A du LPF : le premier alinéa n’est pas applicable, faute de redressement, si le contribuable n’avait pas déclaré les revenus en litige, et le dernier ne l’est pas non plus si le contribuable, qui s’est déclaré comme résident français invoque une doctrine propre aux résidents suisses.
Le fond de cette affaire est un peu technique, et nous ne le détaillerons pas ici. Mais pour faire simple, les personnes prenant une résidence en Suisse peuvent être taxées sur une base forfaitaire déterminée sur la base de la valeur locative du bien. Lorsque tel est le cas, ils ne sont en principe pas regardés comme résidents suisses pour l’application de la convention fiscale franco-suisse, sauf dans certains cas précis, comme le reconnaissait la doctrine administrative française jusqu’en 2012.
En l’espèce, un contribuable avait réalisé, en 2005, une plus-value de cession de titres d’une société établie en France. Au cours de cette même année, il était parti habiter en Suisse et avait, en 2006, conclu une convention avec l’administration helvète prévoyant sa taxation forfaitaire. Indiquant s’être considéré comme résident suisse sur l’année 2005, il n’avait pas déclaré en France la plus-value de cession de titres.
L’administration fiscale, refusant de le regarder comme résident suisse au titre de l’année 2005, a soumis le contribuable au paiement de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales correspondant à la plus-value.
À l’issue d’un long feuilleton judiciaire, le Conseil d’État était ici appelé à statuer sur la question de l’opposabilité de la doctrine précitée au cas d’espèce.
Pour rendre sa décision, la Haute juridiction relève que :
- La condition d’opposabilité de la doctrine administrative au sens de l’article L80 A du LPF nécessite une imposition antérieure puisque ces dispositions s’appliquent aux situations de « rehaussements d’impositions antérieures ». En raison de l’absence de déclaration de ces plus-values au titre de l’année d’imposition, le Conseil d’État a donc estimé que cet article ne pouvait pas être invoqué : « dès lors que la plus-value en litige n’a pas été déclarée par lui au titre de ses revenus de l’année en cause, de sorte que les impositions contestées ne sauraient être regardées (…) comme constituant un rehaussement d’une imposition primitive de cette plus-value.».
- La doctrine administrative relative à la définition des résidents suisses ne pouvait pas non plus être invoquée sur le fondement du dernier alinéa de l’article L80 A du LPF dès lors que le contribuable avait souscrit une déclaration de revenus en qualité de résident français en 2005 (année de la cession) pour y déclarer d’autres revenus (des dividendes notamment). Le Conseil d’État relève qu’en agissant de la sorte, il ne pouvait prétendre avoir fait application de la doctrine administrative qui l’aurait alors au contraire désigné comme résident de Suisse.
Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 18 septembre 2023, 469789
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